CHALVET : LE DRAME DU 14 FÉVRIER
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CHALVET : LE DRAME DU 14 FÉVRIER
Au cœur de la mobilisation de février 1974, un événement tragique marque l’histoire de la Martinique : le drame de Chalvet, illustrant la réalité de la contestation sociale sur l’île, durement réprimée.
Le conflit culmine lorsque, le 14 février, les forces de l’ordre tendent une embuscade à Chalvet, une zone agricole occupée par des champs d’ananas. Armés et appuyés par un hélicoptère, les gendarmes ouvrent le feu sans sommation, faisant plusieurs blessés parmi les grévistes et une victime, Rénor Ilmany, père de famille de 55 ans. Plus tard, le corps de Georges Marie-Louise, jeune ouvrier maçon, est retrouvé dans des circonstances qui soulèvent plus de questions que de réponses, sans enquête judiciaire approfondie pour faire la lumière sur ce décès.
Le premier contact avec les gendarmes a lieu sur le pont de la rivière du Lorrain, où des échauffourées éclatent. Les gendarmes tentent d’interdire le passage aux manifestants, mais ces derniers parviennent à contourner les forces de l’ordre en passant par les champs inaccessibles aux camions, illustrant leur détermination à défendre leurs droits malgré la répression.
Cependant, c’est à Chalvet que la véritable embuscade est tendue, dans les vastes champs d’ananas. Les gendarmes, équipés de 14 camions, encerclent les ouvriers, soutenus par un hélicoptère et armés de fusils. Sans sommation, ils ouvrent le feu, faisant une première victime.
L’impact de la fusillade de Chalvet dépasse la tragédie immédiate, provoquant une onde de choc à travers toute l’île. Ce moment sombre rappelle le prix payé pour la lutte sociale et les sacrifices consentis sur le chemin de la justice et de la dignité pour les travailleurs de Martinique.
CHALVET LE DRAME DU 14 FÉVRIER (suite)
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CHALVET LE DRAME DU 14 FÉVRIER (suite)
Les obsèques des victimes du drame, Rénor Ilmany et Georges Marie-Louise, sont entourées de mystère et de controverse. La disparition du cercueil d’Ilmany, et plus tard, la découverte du corps de Marie-Louise dans des circonstances troubles, exacerbent la douleur et l’indignation, transformant les funérailles en moments de forte tension politique et sociale.
MYSTÈRE AUTOUR DE L’ENTERREMENT ET DISPARITION DU CORPS D’ILMANY
Le jour de l’enterrement d’Ilmany, une confusion règne. Elle est alimentée par la disparition inexpliquée du cercueil pendant plusieurs heures, soulevant des questions sur la manipulation des événements à des fins politiques et syndicales entre la CGTM et l’UGTM. Une manifestation éclate alors qu’on se demande si c’est véritablement Ilmany dans le cercueil à l’entrée de l’église du Lorrain. Certains tentent même d’ouvrir le cercueil pour vérifier l’identité du défunt.
Les Martiniquais convergent vers la commune tandis qu’une rumeur se répand : le maire du Macouba, commune d’origine de Rénor Ilmany, aurait élaboré un stratagème, faisant douter de l’identité du défunt, afin de récupérer l’organisation des funérailles au profit de la CGTM.
Spéculations, rumeurs et mystères planent, rendant la tension sociale plus que palpable. L’enterrement prévu le jour même est reporté au lendemain, sur demande du maire. La veillée, qui se tient d’ailleurs chez lui, est perturbée par quelques agitations.
Le 16 février, deux heures avant l’enterrement d’Ilmany, le corps d’un jeune homme de 19 ans, Georges Marie-Louise, est découvert à Basse-Pointe.
LA MORT DE GEORGES MARIE-LOUISE, UN MYSTÈRE NON RÉSOLU
La mort de Georges Marie-Louise reste l’une des pages les plus sombres de cette période. Retrouvé mort, le corps gisant sur une plage de galets à l’embouchure de la Capot, les circonstances de sa mort restent floues, les autorités n’ayant pas fourni d’explication convaincante.
Presque immédiatement, le parquet publie un communiqué démentant les rumeurs selon lesquelles Marie-Louise aurait été torturé par les gendarmes avant d’être jeté, mort ou agonisant, sur la plage où l’on a retrouvé son cadavre.
Les personnes présentes, ayant vu le corps du jeune homme, parlent de son visage déformé sous les coups, de brûlures de cigarettes, de blessures et de marques de torture. De plus, le pantalon de l’adolescent, laissé descendu sur ses jambes, exposait son corps de manière indigne. Pourtant, la seule réponse officielle est : « C’est la mer qui a rejeté le corps du garçon dans cet état. » Une explication bien peu crédible et violemment injuste, qui ne passe pas auprès de la population.
Cette omerta alimente le sentiment d’injustice au sein de la population. La réaction des autorités à cette affaire, ainsi que le traitement judiciaire des militants et des participants à la grève, contraste avec l’impunité apparente des forces de l’ordre impliquées, accentuant les tensions profondes entre les citoyens et les institutions de l’île.
Les cris des foules expriment douleur et colère, et les slogans syndicaux sont remplacés par des promesses de vengeance :
« À BAS LE COLONIALISME »,
« MARTINIQUE LÉVÉ ».
PROTOCOLE DE RÉSOLUTION
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LA FIN DU CONFLIT ET LE PROTOCOLE DE RÉSOLUTION
Le 19 février marque un tournant dans la grève, avec la signature d’un protocole d’accord entre les Patrons et la CGTM. Ce protocole prévoit :
Un salaire de 35,50 francs pour 8 heures de travail.
Le paiement des heures supplémentaires.
La garantie de ne pas licencier pour fait de grève.
L’interdiction d’augmenter les charges de travail existantes.
Cet accord, bien que présenté comme une victoire, ne répond pas aux 11 revendications des travailleurs agricoles et est considéré comme une trahison par beaucoup. En effet, même si le salaire convenu par la CGT est légèrement supérieur aux 35,46 F demandés par les ouvriers, il reste un salaire conventionnel propre à l’agriculture, couvrant à peine la hausse des prix intervenue depuis janvier 1973 en Martinique.
L’accord est perçu comme une manœuvre, ne permettant pas d’imposer aux planteurs l’obligation de s’aligner automatiquement à chaque augmentation du SMIG dans l’industrie et le commerce. De plus, il omet de traiter l’arrêt de l’utilisation des produits toxiques comme le curlone (composé de chlordécone).
CONSÉQUENCES ET RÉFLEXIONS POST-GRÈVE
La grève de 1974 laisse derrière elle un paysage social et syndical profondément transformé. La création de l’UTAM (Union des Travailleurs Agricoles de Martinique) illustre une volonté d’un syndicalisme plus combatif. La transformation de la CFDT en CDMT (Confédération Démocratique Martiniquaise du Travail) témoigne également d’un paysage syndical en pleine mutation, influencé par les événements de février 1974.
La répression, cependant, ne s’est pas arrêtée avec la fin de la grève. De nombreux ouvriers ont été licenciés, soumis à des gardes à vue ou encore poursuivis en justice, illustrant les tensions persistantes entre les travailleurs et les autorités. Ce climat de répression met en lumière les défis constants auxquels sont confrontés les ouvriers dans leur lutte pour des conditions de travail et de vie dignes.
Bien que dérisoire au regard des sacrifices consentis par les travailleurs, les augmentations de 20 ou 24 % dans la conjoncture de janvier étaient tout de même mieux que rien.
La grève de 1974 reste un moment clé dans l’histoire du mouvement ouvrier en Martinique, révélant à la fois la force de la solidarité ouvrière et les limites des accords obtenus face aux attentes des travailleurs. Elle soulève des questions fondamentales sur les rapports entre syndicats, partis politiques et ouvriers, ainsi que sur la nature des revendications dans une société post-coloniale.