MARTINIQUE, AU DELÀ DE LA CARTE POSTALE
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MARTINIQUE, AU DELÀ DE LA CARTE POSTALE
La Martinique des années 1972 à 1974 se situe à la croisée des chemins entre un contexte global tumultueux et des défis locaux pressants, dévoilant une réalité bien éloignée des images idylliques habituelles.
CONTEXTE INTERNATIONAL: LES ANNÉES DE FEU
Ces années font écho aux mouvements révolutionnaires post-68, marqués par des luttes de libération et des revendications d’équité sur plusieurs continents. La conférence tri-continentale de 1966 avait déjà posé les jalons d’une solidarité internationale entre l’Asie, l’Afrique, et l’Amérique latine, préfigurant une décennie de défis et de résistances. Le premier choc pétrolier de 1973, initié par l’OPEP, secoue l’économie mondiale et provoque une inflation sans précédent, exacerbant les difficultés en Martinique. Cette période voit également l’intensification de luttes emblématiques contre l’apartheid en Afrique, les actions des guérilleros en Amérique latine, la militance des Black Panthers aux USA, et les tragédies de la guerre du Vietnam, répercutant leur influence jusqu’en Martinique.
CONTEXTE NATIONAL: UNE CRISE MULTIDIMENSIONNELLE
En Martinique, cette époque est synonyme de hausse vert igineuse des prix, touchant le carburant, les denrées de première nécessité et le coût de la vie en général, plongeant l’île dans une crise économique profonde. Les ouvriers agricoles, notamment ceux du secteur de la banane, subissent de plein fouet cette situation, avec des conditions de vie et de travail dégradantes. Exploités, sans protection adéquate contre les pesticides toxiques, ils travaillent de l’aube au crépuscule pour une rémunération dérisoire, le SMAG (salaire minimum agricole garanti), bien en dessous du SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) revendiqué. Ces années sont marquées par la persistance d’un système d’embauche arbitraire et d’une rémunération injuste, aggravant la précarité des travailleurs. Souvent, les familles sont contraintes d’impliquer leurs enfants dans les tâches agricoles, mettant en péril leur santé et leur éducation.
RÉPERCUSSIONS ET ÉVEIL DES CONSCIENCES
L’impact des luttes internationales et la crise économique agissent comme un catalyseur en Martinique, où les consciences s’éveillent. La solidarité avec les mouvements globaux de résistance et l’exigence d’un changement social et économique s’intensifient, marquant le début d’une période de revendications et de mobilisations pour des droits fondamentaux et une reconnaissance équitable.
Cette exposition vise à plonger dans la complexité de cette époque, révélant une Martinique vibrante, engagée dans la lutte pour la justice et la dignité, bien au-delà des clichés de carte postale.
BETTY RAFFAELLI
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BETTY RAFFAELLI
Au cœur des agitations profondes des années 1972 à 1974, Betty Raffaelli a gravé dans la gélatine de ses pellicules une époque charnière de la Martinique, période où les soubresauts sociaux et culturels ont façonné de manière indélébile l’histoire de l’île. Invitée par Jean-Marie Serreau, figure emblématique du théâtre, à documenter le premier Festival de théâtre de Fort-de-France, une commande d’Aimé Césaire, elle dépasse l’assignement initial pour capturer l’âme d’une Martinique en pleine mutation.
"Quand je suis sortie du théâtre, j’ai vu que la fiction s’était échappée et qu’elle se déployait là, dans la réalité, sous mes yeux..."
À travers son objectif, Betty Raffaelli révèle les conditions d’existence du peuple martiniquais, mettant en lumière les vestiges à peine voilés de l’esclavage et la persistance d’une matrice coloniale résiliente. Lorsqu’en 1974, la Martinique s’embrase, touchée par des grèves et des manifestations réprimées durement, sa caméra ne flanche pas.
Elle capte l’essence de la colère, du désespoir mais aussi de l’espoir d’un peuple luttant pour sa dignité.
Ses œuvres, mêlant images et sons, dressent un portrait riche et nuancé de la Martinique, explorant les vies quotidiennes avec un regard qui oscille entre intimité et analyse anthropologique. L’art de Raffaelli, au-delà de la simple documentation, est une danse avec la lumière, le cadre, et le sujet. Elle incarne cette idée que pour capturer l’instant, le photographe doit lui-même être en mouvement, intégrant corps et âme dans le processus créatif. Ses photos en noir et blanc transcendent la simple représentation pour offrir une vision profonde et empathique de la Martinique, ouvrant des fenêtres sur des mondes à la fois proches et lointains, familiers et pourtant mystérieux.
Dans cette exposition, chaque cliché de Betty Raffaelli est une porte ouverte sur le passé, une réflexion sur l’impact durable des structures coloniales, et une célébration de la résilience et de la beauté de la Martinique.
En confrontant son audience à la complexité de cette période, Betty Raffaelli invite à un dialogue profond sur l’identité, la mémoire et le futur d’une île qui, malgré les défis, continue de s’épanouir au-delà des images figées et des idées reçues.
Betty Schneider découvre sa passion pour le cinéma au ciné-club de Lens, amorçant ainsi une carrière prolifique avec des rôles emblématiques dans des films de Jacques Tati et Jacques Rivette, pour qui elle incarne le rôle principal dans Paris nous appartient. Dans le théâtre et la photographie, elle excelle tant comme actrice que comme photoreporter, offrant une vision à la fois engagée et sensible, enrichie par des prises de son.
La Misére
EN MARTINIQUE
LA MISÈRE EN MARTINIQUE
Au cœur des agitations profondes des années 1972 à 1974, Betty Raffaelli a gravé dans la gélatine de ses pellicules une époque charnière de la Martinique, période où les soubresauts sociaux et culturels ont façonné de manière indélébile l’histoire de l’île. Invitée par Jean-Marie Serreau, figure emblématique du théâtre, à documenter le premier Festival de théâtre de Fort-de-France, une commande d’Aimé Césaire, elle dépasse l’assignement initial pour capturer l’âme d’une Martinique en pleine mutation.
"Quand je suis sortie du théâtre, j’ai vu que la fiction s’était échappée et qu’elle se déployait là, dans la réalité, sous mes yeux..."
À travers son objectif, Betty Raffaelli révèle les conditions d’existence du peuple martiniquais, mettant en lumière les vestiges à peine voilés de l’esclavage et la persistance d’une matrice coloniale résiliente. Lorsqu’en 1974, la Martinique s’embrase, touchée par des grèves et des manifestations réprimées durement, sa caméra ne flanche pas.
Elle capte l’essence de la colère, du désespoir mais aussi de l’espoir d’un peuple luttant pour sa dignité.
Ses œuvres, mêlant images et sons, dressent un portrait riche et nuancé de la Martinique, explorant les vies quotidiennes avec un regard qui oscille entre intimité et analyse anthropologique. L’art de Raffaelli, au-delà de la simple documentation, est une danse avec la lumière, le cadre, et le sujet. Elle incarne cette idée que pour capturer l’instant, le photographe doit lui-même être en mouvement, intégrant corps et âme dans le processus créatif. Ses photos en noir et blanc transcendent la simple représentation pour offrir une vision profonde et empathique de la Martinique, ouvrant des fenêtres sur des mondes à la fois proches et lointains, familiers et pourtant mystérieux.
Dans cette exposition, chaque cliché de Betty Raffaelli est une porte ouverte sur le passé, une réflexion sur l’impact durable des structures coloniales, et une célébration de la résilience et de la beauté de la Martinique.
En confrontant son audience à la complexité de cette période, Betty Raffaelli invite à un dialogue profond sur l’identité, la mémoire et le futur d’une île qui, malgré les défis, continue de s’épanouir au-delà des images figées et des idées reçues.
Betty Schneider découvre sa passion pour le cinéma au ciné-club de Lens, amorçant ainsi une carrière prolifique avec des rôles emblématiques dans des films de Jacques Tati et Jacques Rivette, pour qui elle incarne le rôle principal dans Paris nous appartient. Dans le théâtre et la photographie, elle excelle tant comme actrice que comme photoreporter, offrant une vision à la fois engagée et sensible, enrichie par des prises de son.
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L’INDUSTRIE SUCRIÈRE
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LA FIN DE L’INDUSTRIE SUCRIÈRE ET SES RÉPERCUSSIONS
Dans les années 70, l’industrie sucrière, pilier économique de l’île pendant des siècles, décline violemment. Ce bouleversement entraîne des mutations profondes dans le tissu social et économique de la Martinique.
EFFONDREMENT INDUSTRIEL ET CRISE ÉCONOMIQUE
En l’espace de deux décennies, la Martinique assiste à la fermeture des trois quarts de ses usines à sucre et de deux tiers de ses distilleries : sur 13 usines, seules deux demeurent (Lareinthy et Gallion). Cette désindustrialisation brutale contribue à une augmentation dramatique du chômage, le nombre de chômeurs passant de 15 000 en 1967 à 20 000 en 1974, représentant alors 20 % de la population active.
RÉPONSES ET CONSÉQUENCES SOCIALES
Face à cette crise, l’émigration apparaît comme une valve de sécurité contre une explosion sociale. Le BUMIDOM, créé en 1961, facilite le départ de dizaines de milliers de Martiniquais vers la France métropolitaine, permettant ainsi de désamorcer une situation potentiellement explosive.
Cette période est également marquée par une prise de conscience et une mobilisation croissantes de la jeunesse martiniquaise. Des mouvements sociaux, tels que le M10-1 (mouvement lycéen du 10 janvier) et l’UCAEM (Union des Comités d’Action des Enseignés Martiniquais), illustrent cet éveil politique. Des grèves significatives dans différents secteurs, notamment chez France Antilles, les ouvriers du bâtiment, et les dockers, témoignent d’un climat social tendu.
TRANSFORMATION ÉCONOMIQUE : VERS LE SECTEUR TERTIAIRE
Alors que l’industrie sucrière périclite, le secteur tertiaire se développe, devenant une composante majeure de l’économie martiniquaise. Malgré cela, la transition économique ne parvient pas à compenser les pertes d’emplois dans l’agriculture, dans un contexte d’explosion démographique.
LA BANANE, NOUVEAU PILIER AGRICOLE
La canne à sucre cède sa place à la culture de la banane, qui s’impose comme la principale production agricole. Cette transformation modifie profondément le paysage agricole du Nord-Atlantique de l’île, tout en reflétant les adaptations nécessaires face aux évolutions économiques mondiales et locales.
MONDE AGRICOLE
TENSIONS DANS LE MONDE AGRICOLE
À la fin des années 1970, la banane, devenue non rentable, plonge le monde agricole dans une crise profonde. Cette situation précaire menace l’économie locale, dépendante à 65 % de l’exportation de bananes, et met en péril l’emploi de plus de 10 000 personnes.
MOUVEMENT OUVRIER EN ÉBULLITION
Cette période de tension économique coïncide avec un tournant historique dans le mouvement ouvrier martiniquais. La rencontre entre de jeunes intellectuels révolutionnaires et des ouvriers agricoles, subissant depuis des années de dures conditions de travail, réveille l’esprit de lutte dans les campagnes. Inspirés par les écrits de Marx, Lénine, ou encore Mao Tsé-toung, ces jeunes cherchent à comprendre leur histoire et à s’engager dans la lutte pour la dignité et l’émancipation des travailleurs agricoles.
Chez les ouvriers de la banane, en plus de la pénibilité du travail — salaire de misère, journées de 12 heures, conditions d’hygiène et de sécurité déplorables — la manipulation de produits toxiques, dont le chlordécone introduit en Martinique en 1972, sans protection adéquate, est courante. Cela entraîne des accidents graves et des empoisonnements silencieux. Les logements insalubres, sans eau potable ni accès à des sanitaires, illustrent une vie de souffrance et d’abandon.
UNE MISÈRE MORALE ET SOCIALE
Outre la précarité matérielle, les ouvriers agricoles subissent une profonde misère morale, parfois exacerbée par le chantage sexuel à l’emploi — exercé sur les femmes par les commandeurs ou géreurs — et la répression de toute tentative d’organisation ou de lutte pour leurs droits.
Cette période noire reflète l’urgence d’un changement et d’une prise de conscience collective pour améliorer les conditions de vie et de travail de ceux qui sont à la base de l’économie martiniquaise.
Une partie des ouvriers agricoles, se sentant délaissée par l’appareil syndical de la C.G.T. dont l’influence a diminué depuis les années 1960 avec le déclin de la culture de la canne, subit de plein fouet les dures exigences des gros planteurs. Les divergences au sein du mouvement ouvrier n’empêchent pas pour autant l’émergence d’une unité autour de la lutte pour la justice sociale et le développement culturel des Martiniquais.
Les idées de responsabilité, de dignité et parfois même d’indépendance émergent, révélant un désir profond de changement et de reconnaissance.